Yahoo Finance Tome 100 de "One Piece": comment le manga d'Eiichiro Oda continue de se renouveler
One Piece n’a jamais été aussi populaire. Près de 25 ans après sa création, le manga aux 490 millions d'exemplaires vendus dans le monde (dont 26 en France) séduit toujours autant, voire plus. En 2020, le premier tome des aventures du pirate Luffy s’est vendu en France à plus de 78.000 exemplaires, s'offrant au passage une croissance de plus de 135% en deux ans. One Piece représente à lui seul 8,3% du marché du manga.
2021 avait tout pour devenir une année charnière dans l'histoire de One Piece. Avec la diffusion du chapitre 1000 du manga et de l’épisode 1000 de la série animée, Eiichiro Oda était attendu au tournant. Il n'a pas déçu les fans. "C'est presque la consécration de leurs nombreuses années de fidélité à la série et à son auteur, d'autant que ce dernier entretient un lien très fort avec son public", se réjouit Alexis Orsini, auteur de La Volonté d'Oda (Pix n' Love).
Japon féodal
Preuve de cet engouement, le tome 100, disponible dans les librairies de France à partir de ce mercredi 8 décembre, a été tiré à 250.000 exemplaires - soit un des tirages les plus importants de l'année en BD. Une popularité ahurissante, qui s’explique en partie grâce à la qualité de l'arc narratif actuel, celui du Pays des Wa (Wano Kuni), considéré comme l’un des meilleurs et l'un des plus surprenants de la saga.
Équivalent du Japon féodal, le Pays des Wa vit replié sur lui-même, sous la coupe du vil shogun Kurozomi Orochi, qui terrorise les habitants de ce monde rongé par la pollution, la famine et la pauvreté. C’est dans ce pays que Luffy et ses compagnons, les Mugiwaras, vont débarquer afin de vaincre Kaïdo, puissant guerrier auquel le shogun s’est associé, et l’impératrice Big Mom.
Publié dans le Shonen Jump depuis 2018, Wano Kuni "est vraiment entré dans le vif du sujet fin 2020/début 2021", estime Alexis Orsini. "L'intérêt pour la série atteint logiquement son paroxysme au moment où elle fait la part belle à des enjeux épiques, comme à l'époque de l'arc Marine Ford, qui réunissait déjà d'innombrables personnages de renom lors d'une bataille décisive."
Un rêve de dessinateur
Annoncé de longue date, dès 2007, dans le tome 47, l’arc du Pays des Wa était attendu des fans, mais surtout d'Eiichiro Oda. "Il a reconnu il y a quelques années qu'il était impatient de dessiner cet arc parce qu'il serait l'occasion, pour les lecteurs, de découvrir l'une de ses passions", commente Alexis Orsini.
"Il faisait vraisemblablement référence au rakugo (spectacle littéraire japonais humoristique), mais le pays des Wa mélange en réalité tous les plus grands centres d'intérêt de l'auteur: la dimension volontairement théâtrale du jidai geki (récit historique), les calembours et jeux de mots permanents, une vaste galerie de personnages tous plus loufoques les uns que les autres, des références à la mythologie japonaise…", analyse encore le spécialiste, avant d’ajouter:
"La principale réussite du pays des Wa, c'est qu'il incarne une sorte de parenthèse enchantée pour Oda, où il peut aborder tous ses thèmes favoris, tout en restant un arc crucial de One Piece au vu de la progression des personnages et des enjeux au cœur de l'intrigue. Il est tout simplement à son meilleur dans ce qu'il fait traditionnellement de mieux."
Pour Oda, cet arc est aussi un retour aux sources après presque un quart de siècle d’aventures dans des îles exotiques. "Il peut enfin se pencher sur son propre pays, dans un Japon féodal fictif où il se moque gentiment de ses compatriotes tout en faisant constamment référence au folklore local, parfois de manière très sérieuse mais souvent dans un esprit parodique", analyse Alexis Orsini. Pour lui, ce n'est ainsi "pas un hasard si Oda cite la scène introductive du Pays des Wa, avec le lever de rideau sur sa capitale, sur fond de notes de shamisen [instrument de musique traditionnel], comme sa séquence préférée de tout One Piece".
Un dessinateur au sommet de son art
Visuellement, Le Pays des Wa est aussi l'un des arcs les plus aboutis de One Piece. Il est rare qu’une série parvienne à rester aussi surprenante après vingt-quatre ans d’existence. "Comme il y a dans Le Pays des Wa une très nette montée des enjeux autour de Luffy et des empereurs, il est tout à fait normal que ce soit un spectacle totalement ébouriffant", commente Benoît Huot, directeur éditorial de Glénat Manga.
Oda s’y révèle d’une grande inventivité visuelle. Kaido et Big Mom, les deux principaux antagonistes de l’arc, sont tellement grands que le dessinateur rivalise d’astuces pour maintenir le gigantisme des personnages. Osa livre certaines de ses plus belles planches, avec des doubles pages à la mise en page d’une grande originalité, pour créer une atmosphère inédite dans l’histoire de One Piece.
"Ça passe par un style propre aux estampes japonaises ('ukiyo-e'), que ce soit dans la forme des vagues entourant l'île, une référence évidente à Hokusaï, à celle des nuages ou de certains personnages", décrypte Alexis Orsini. "Oda est même allé jusqu'à remplacer ses onomatopées habituelles pour les remplacer par des sonorités qui évoquent plus, selon lui, le bruit des notes d'instruments traditionnels japonais!"
"Oda construit son histoire comme un gigantesque voyage à travers un parc d'attractions, avec des ambiances très spécifiques", indique Benoît Huot. "Oda essaye toujours que chacune de ses cases soit une case différente. Ça fait partie du respect envers les lecteurs. Même pour les scènes de flashbacks, il refait toujours les dessins."
"Wano Kuni", l’arc le plus politique de "One Piece"?
Sans être une œuvre politique, One Piece a distillé au fil des années un propos résolument contestataire, voire anarchiste. Luffy apparaît en libérateur de peuples opprimés par des gouvernements corrompus. Il s'insurge contre l’esclavagisme, le racisme, la xénophobie, et les désastres écologiques. Avec sa critique de l’isolationnisme du Japon et de la course aux armes de Shinzo Abe, Le Pays des Wa est l’arc le plus politique de One Piece, bien que Oda, s’en défende.
"Oda estime que les thèmes surgissent librement dans son histoire et que c'est à ses lecteurs d'en faire leur propre interprétation", précise Alexis Orsini. "Ce qui n'empêche effectivement pas de voir dans Le Pays des Wa une critique de certaines dérives du Japon au sens large. Plus que la remilitarisation, je trouve que l'arc dénonce surtout l'isolationnisme historique du pays et certaines inégalités sociales."
Cet isolationnisme évoque moins celui du Japon moderne que celui de la fin du XIXe siècle, estime de son côté Benoît Huot, pour qui "cela permet de prendre conscience de certains maux présents dans le monde et dans le manga" bien que l’objectif de One Piece "ne soit pas d’apporter une réponse à ces maux".
876450610001_6283176401001 "Cela dit", renchérit Alexis Orsini, "il s'agit aussi de deux éléments scénaristiques forts par nature, qui concordent avec les grands thèmes abordés dans One Piece depuis le début du manga. À quel point sont-ils donc vraiment en rapport avec le Japon? Est-ce qu'on se poserait la même question si Oda abordait ces thèmes dans un arc se déroulant sur une autre île, comme lorsqu'il critiquait les ravages de la guerre à Alabasta, par exemple?"
Nouveaux personnages cultes
L'arc du Pays des Wa regorge de nouveaux personnages instantanément marquants et désormais indissociables de One Piece, comme Yamato, Kaido et Oden. Avec sa coiffure improbable et son nom en hommage à une spécialité japonaise, Oden est l'un des personnages les plus "Oda-esques" de One Piece, estime Alexis Orsini. Et comme souvent, Oden parvient "à émouvoir les lecteurs grâce à un flashback très poignant, dont Oda a le secret":
"Par ses rapports avec Barbe Blanche et Roger, et grâce à son carnet de voyage visiblement rempli d'infos cruciales sur les grands mystères de l'intrigue, Oden s'impose aussi comme un personnage crucial du manga. Mais d'un point de vue purement physique, il s'inscrit dans la droite lignée de protagonistes loufoques comme Gaimon, le pirate à la coupe afro coincé dans un coffre depuis des années, que Luffy rencontre au début de son périple."
Autre personnage marquant du Pays des Wa, Yamato s’intègre aussi parfaitement à la mythologie bâtie par Oda en incarnant selon Alexis Orsini "l'idée, omniprésente dans One Piece, que les apparences sont souvent trompeuses".
Kaido, le plus grand méchant de "One Piece"?
Antagoniste principal du Pays des Wa, Kaido aux cent bêtes est l'ennemi le plus terrifiant et le plus dangereux rencontré par Luffy. "Oda avait indiqué que ce qui se trouvait au-delà de Grand Line était l’enfer sur Terre. Le Pays des Wa, c’est exactement ça", souligne Benoît Huot. Selon Alexis Orsini, ce personnage "a priori imbattable" permet surtout à Oda de proposer un récit imprévisible:
"Quand il le fait apparaître pour la première fois dans le manga, dans le tome 79, Oda sait juste que Luffy n'est pas assez fort pour vaincre un tel adversaire et qu'il devra trouver un moyen de le faire triompher de Kaido, mais de manière plus 'crédible' qu'avec un simple coup de poing, sous peine de décevoir les fans."
Malgré ses multiples défaites face à Kaido, Luffy n'en reste pas moins héroïque, rappelle Benoît Huot: "Lorsque Luffy affronte Kaido pour la première fois et qu’il se fait battre, Kaido remarque que Luffy, même inconscient, n'a pas perdu sa volonté de combattre. Il est tout entier animé par son objectif de devenir le roi des pirates et de sauver l’ensemble du pays des Wa."
Le retour des Mugiwaras
Mais Luffy n’est pas le seul héros de cet arc narratif, qui laisse la part belle à son équipage et à ses alliés. Chaque personnage a son rôle à jouer et son moment de bravoure - tant et si bien que Zoro semble être en capacité de battre Kaido avant Luffy! Plus riche en révélations que le chapitre 1000, le tome 100 est "un concentré de séquences mémorables", souligne Benoît Huot:
"Big Mom prend part au combat. Zoro blesse Kaido avec son sabre. Le tome se termine avec un gros cliffhanger concernant Luffy. Oda a vraiment travaillé la construction narrative."
La force de Wano Kuni réside aussi dans la capacité d'Oda à réunir au sein d’une même histoire, et pour la première fois depuis des années, tous les Mugiwaras. Ces dernières années, l’équipe du chapeau de paille avait systématiquement été divisée en plusieurs groupes, se remémore Alexis Orsini:
https://www.youtube.com/embed/okSRjiv9rvU?rel=0"Au-delà du simple plaisir de retrouver tous les héros réunis, leur introduction respective dans l'arc est vraiment très soignée, et assez drôle puisque chaque personnage se plie aux traditions et aux patronymes locaux du pays des Wa. Luffy et Zoro ont même droit à une séquence défouloir en duo, au début de l'arc, qui rappelle leurs débuts ensemble."
Et le spécialiste d’ajouter: "Oda lui-même est visiblement très heureux de pouvoir mettre en scène tous ses pirates en même temps, notamment sur Onigashima, où il signe de très belles planches où le groupe prend la pose au milieu du chaos ambiant! Même si, paradoxalement, certains fans trouvent que les Mugiwara sont trop en retrait au pays des Wa, dans le sens où ils restent des protagonistes "secondaires" face aux fourreaux rouges - du moins au début de l'arc."
Bientôt la fin de "One Piece"?
Wano Kuni lève le voile sur de nombreux secrets du manga et pour cette raison, selon les fans, la fin de One Piece approcherait. "On sent, dans cet arc, que tout s'accélère", acquiesce Alexis Orsini.
"Le fait que Kaido et Big Mom s'allient, puis que Luffy et son équipage se retrouvent confrontés à deux empereurs en même temps n'est pas anodin. Oda a en outre reconnu récemment que ses lecteurs devaient se préparer à l'idée que la fin du manga approche et que le pays des Wa n'était que les prémices d'une bataille d'envergure inédite dans l'intrigue, qui sonne clairement comme un grand final - ou comme l'introduction du grand final. Maintenant, reste à savoir combien d'années encore il faudra attendre avant qu'Oda n'en arrive à ce stade..."
One Piece, tome 100, Le Fluide Royal, Eiichiro Oda (scénario et dessin), Djamel Rabahi & Julien Favereau (traduction), Glénat, 208 pages, 6,90 euros (édition standard) ou 10,75 euros (édition collector avec son étui en simili-cuir).
