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Pourquoi « Le monde sans fin », la BD de Jean-Marc Jancovici fait-elle tant polémique ?

« Le Monde sans fin » coécrit par Jean-Marc Jancovici fait l’objet de controverses scientifiques lui reprochant des propos biaisés sur le nucléaire. (Photo : Couverture de la BD « Le monde sans fin »)
« Le Monde sans fin » coécrit par Jean-Marc Jancovici fait l’objet de controverses scientifiques lui reprochant des propos biaisés sur le nucléaire. (Photo : Couverture de la BD « Le monde sans fin »)

SCIENCES - « Jean-Marc Jancovici essaie de toucher le grand public, ce qui nécessite certaines approximations. On ne se les permettrait pas dans un texte scientifique. » Christian Simon, enseignant-chercheur à la Sorbonne revient pour Le HuffPost sur la polémique autour de la bande dessinée Le monde sans fin, de l’auteur Christophe Blain et de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici. Un ouvrage qui a tant cartonné qu’il est devenu la meilleure vente de livre en France de 2022 ; plus de 600 000 exemplaires ont été écoulés depuis sa sortie en octobre 2021.

Des chiffres qui attestent de l’envie des Français de comprendre « (leur) rapport ambigu à l’énergie et ses conséquences sur le réchauffement climatique », expliquait mercredi 4 janvier Stéphane Aznar, directeur général de Dargaud, l’éditeur de la BD, sur France Inter. Mais cet engouement dénote aussi des inquiétudes des Français, entre craintes de coupures d’électricité et explosion des prix de l’énergie liée à la guerre en Ukraine.

Ce contexte d’incertitude participe au succès de la BD, qui donne justement une grille de lecture simple (simpliste disent ses détracteurs) pour comprendre les enjeux de notre avenir énergétique. Or, si cet effort de vulgarisation est plébiscité par de nombreux chercheurs, d’autres déplorent un manque de rigueur dans le fond. Contacté par Le HuffPost, Jean-Marc Jancovici n’a pas voulu s’étendre sur cette polémique qui selon lui « n’est pas le point central du livre ».

Un ouvrage de vulgarisation scientifique efficace

Sur la forme, la bande dessinée d’un peu moins de 200 pages a reçu bien des éloges, même de la part de ses détracteurs. « Dans cet ouvrage illustré de très nombreux schémas explicatifs, souvent humoristiques, les auteurs passent leurs messages (...) toujours en des termes très accessibles », complimente l’ingénieur François-Xavier Martin dans un article publié dans la revue spécialisée La Jaune et La Rouge. « Jean-Marc Jancovici parle de la physique avec des mots simples, c’est ça qui plaît », complète auprès du HuffPost Emmanuelle Galichet, enseignante-chercheure en physique nucléaire au Cnam.

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François-Xavier Martin ajoute que « jusqu’à la page 125 », la BD « traite de sujets irréfutables ou largement consensuels », comme notre dépendance aux énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz). « Le pétrole et le gaz servent à faire fonctionner les machines qui fabriquent tous les objets qui t’entourent », rappelle par exemple Jean-Marc Jancovici à la page 78. « 64 % de la production d’électricité mondiale provient des énergies fossiles », dénonce-t-il encore page 103.

« Le pétrole et le gaz servent à faire fonctionner les machines qui fabriquent tous les objets qui t’entourent » page 78
« Le monde sans fin » « Le pétrole et le gaz servent à faire fonctionner les machines qui fabriquent tous les objets qui t’entourent » page 78

En revanche, la seconde partie du livre axée sur la nécessité de décarboner notre mix énergétique et le remplacement des énergies fossiles par le nucléaire, a fait l’objet de nombreuses critiques.

Rectifications sur les réseaux sociaux

Les premiers à dénoncer le best-seller sont des ingénieurs qui se sont rapidement lancés dans des analyses critiques de la BD sur les réseaux sociaux. Paul Neau a notamment recommandé des textes écrits par des experts des questions énergétiques pour prendre de la hauteur par rapport au livre, comme vous pouvez le lire dans le tweet ci-dessous. Le consultant indépendant Stéphane His a, lui, publié sur son compte LinkedIn une série de notes pour rectifier presque page par page le travail de son homologue Jean-Marc Jancovici.

Des activistes pour le climat se sont aussi mobilisés. Un groupe d’anonymes a par exemple distribué de faux textes d’excuses dans des librairies dénonçant les propos « pro-nucléaire » véhiculés dans le livre. Enfin, côté politique, EELV s’est saisi du débat. Sa secrétaire nationale Marine Tondelier a martelé dimanche 8 janvier sur France Inter : Jean-Marc Jancovici « ment beaucoup » dans cette BD.

« De son point de vue, une éolienne, c’est un moulin »

Pour comprendre, il faut avoir à l’esprit que l’ouvrage aborde une question explosive : quelle part doit prendre le nucléaire dans le bouquet énergétique de demain ? Deux camps s’opposent : ceux qui pensent que la proportion du nucléaire, qui représente aujourd’hui 70 % du mix énergétique français, doit diminuer au profit des énergies renouvelables. Et ceux, comme Jean-Marc Jancovici, qui disent qu’elle doit absolument rester l’énergie dominante.

C’est pourquoi dans Le Monde sans fin, l’ingénieur ne lésine pas dans la critique des énergies renouvelables. Elles « restent diffuses, peu denses, et demandent beaucoup de ressources et beaucoup de place », critique-t-il par exemple page 126.

« Si l’éolien devait fourni la totalité de l’énergie en France (...) Tu vivrais en permanence avec des éoliennes au-dessus de ta tête. Il n’y aurait plus un endroit vierge » p 127
« Le monde sans fin » « Si l’éolien devait fourni la totalité de l’énergie en France (...) Tu vivrais en permanence avec des éoliennes au-dessus de ta tête. Il n’y aurait plus un endroit vierge » p 127

Le chercheur Christian Simon ajoute que le livre a le mérite de donner un autre regard sur les énergies renouvelables, souvent trop idéalisées selon lui par la population française. « Il est important que le grand public sache que l’éolien et le photovoltaïque ne suffisent pas à couvrir les besoins énergétiques d’un pays développé. »

Au contraire, l’ingénieur François-Xavier Martin qui est de ceux pour qui le nucléaire doit être panaché aux renouvelables, reproche à Jancovici de manquer cruellement de contradiction. « Le lecteur est enfermé dans une logique cherchant à convaincre que, si l’Humanité ne veut pas régresser par rapport à l’époque où elle pouvait disposer pratiquement sans limites des énergies fossiles, le passage par l’énergie nucléaire s’impose », détaille-t-il dans un article. « De son point de vue, une éolienne, c’est un moulin », concède d’ailleurs Emmanuelle Galichet.

L’éolien est comparé à un moulin et comme une énergie du passé par les auteurs. « L’éolien, on le connaît depuis 2000 ans. S’il rendait les mêmes services que l’énergie fossile pour pas plus cher, pourquoi se serait-on emmerdés à passer aux énergies fossiles qui ont tant de désavantages... » page 36

Omission des énergies renouvelables ?

Sauf que pour les acteurs du secteur de l’énergie, les renouvelables sont essentiels à la décarbonation du mix énergétique en France. C’est ce qu’affirme par exemple Thomas Veyrenc, directeur exécutif de RTE, le principal gestionnaire du réseau électrique français, dans le podcast « Chaleur Humaine » du Monde. Il explique ainsi que pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, « il faut diminuer notre consommation d’énergie et augmenter celle d’électricité, ajoutant que l'on "ne peut pas boucler cette équation seulement avec le nucléaire ».

Dans l’exposé de six scénarios pour une électricité bas-carbone en 2050 publié en février 2022, RTE soulignait d’ailleurs l’impossibilité d’« atteindre la neutralité carbone (...) sans un développement significatif des énergies renouvelables ». Des trajectoires établies à la suite de concertations avec des ONG, des syndicats, des universitaires et des entreprises. Et donc représentatives d’une forme de consensus.

Angélisme autour du nucléaire

Par ailleurs, l’expert François-Xavier Martin reproche aux bulles de Jancovici traitant du nucléaire d’être « trop rassurantes ». Dans la BD, l’ingénieur évoque notamment l’accident de Fukushima en 2011, indiquant qu’il n’a pas fait de mort.

La filière nucléaire ne compte qu’un accident grave, Tchernobyl, « qui a provoqué la mort immédiate de 31 personnes », affirme encore Jancovici. Ce bilan, qui ne prend en compte que les décès immédiats, fait l’objet de nombreux désaccords entre les autorités de sûreté du nucléaire. « Et quid des milliers de personnes déplacées, des zones contaminées, des coûts des catastrophes estimés entre 200 et 500 milliards d’euros. Après l’accident de Fukushima, l’économie d’une région entière a été dévastée », riposte, lui, le consultant Stéphane His dans un article.

« Paradoxalement, Tchernobyl est devenu une réserve naturelle où vivent de grands animaux qui avaient quasiment disparu », écrivent Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain page 140.
« Le monde sans fin » « Paradoxalement, Tchernobyl est devenu une réserve naturelle où vivent de grands animaux qui avaient quasiment disparu », écrivent Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain page 140.

« Le message de fond de cette BD est un appel à la sobriété »

Mais au-delà du débat provoqué par certains chiffres présentés dans l’ouvrage, c’est surtout le message de fond transmis qui dérange certains experts. En présentant le nucléaire comme la solution miracle, et a contrario les énergies renouvelables comme peu efficaces, « le lecteur peu compétent risque d’être influencé », déplore François-Xavier Martin.

Emmanuelle Galichet, elle, n’est pas de cet avis. Certes, « certains propos peuvent être perçus comme pro-nucléaire, mais le message de fond de cette BD est un appel à la sobriété. Jancovici explique bien que ni le nucléaire ni les énergies renouvelables ne seront suffisants et qu’il faudra faire des efforts pour réduire notre consommation d’énergie ».

Or, alors que les énergies renouvelables sont jugées indispensables dans les scénarios de RTE, une BD lue par des centaines de milliers de Français aurait dû, selon les chercheurs qui la critiquent, exposer tous les avantages et inconvénients du nucléaire. Pour ces détracteurs, si les auteurs de la BD se voulaient impartiaux, ils ne devraient par exemple pas occulter le coût faramineux et les délais de mise en fonctionnement des EPR -celui de Flamanville, en chantier depuis 2007, devrait frôler les 13 milliards d’euros- ou encore aborder la difficile gestion des déchets radioactifs.

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