Couples mythiques : Jean-Luc Godard et Anne Wiazemsky, émoi de mai

Quand Marco Ferreri propose à Anne Wiazemsky de jouer dans son prochain film - un rôle qui nécessite de poser nue - Godard explose : "Mais qu'est-ce qu'ils ont tous ces vicieux cinéastes à vouloir déshabiller ma femme ?" Cette irrépressible jalousie, plus que les dissensions politiques qui minent désormais quotidiennement le couple, va finalement en avoir raison. (Ian Tyas/Keystone Features/Getty Images)

Lorsqu’elle croise Jean-Luc Godard sur le tournage du film Au hasard Balthazar (1965), Anne Wiazemsky ne prête que peu d’attention au réalisateur, de 17 ans son aîné. Issue de la bourgeoisie catholique, descendante de princes russes et petite-fille de François Mauriac, l'adolescente de 18 ans n’est pas une ingénue, prompte à se laisser impressionner par un homme plus mûr, fût-il un artiste connu. Lequel, de son côté, ne se montre pas insensible au charme singulier de l’actrice débutante, et lui fait même des avances auxquelles elle ne cède pas. Sur le plateau, elle préfère d’ailleurs la compagnie d’un jeune membre de l’équipe à celle du cinéaste. (Archivio Cameraphoto Epoche/Getty Images)

Jean-Luc Godard ne manque pourtant pas d’atouts. À 35 ans, le chef de file de la Nouvelle Vague est considéré comme l’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération, et ses films, du Mépris à Pierrot le fou en passant par Bande à part, rencontrent un écho considérable, aussi bien du côté de la critique que du public. C’est d’ailleurs l’un de ses longs-métrages qui va finalement pousser Anne Wiazemsky à reprendre contact avec lui… (Hulton-Deutsch Collection/CORBIS/Corbis via Getty Images)

Séduite par Masculin Féminin, Wiazemsky s’empresse en effet d’écrire au réalisateur en juin 1966 pour déclarer sa flamme à "l’homme qui est derrière le film". Une initiative pleine de culot et de fougue qu’elle racontera dans son livre Une année studieuse. À sa grande surprise, le cinéaste tombe sous le charme. Depuis que son grand amour, Anna Karina, l’a quitté, il est seul - contrairement aux rumeurs qui lui prêtent à tort une liaison avec sa nouvelle interprète, Marina Vlady - et ce vent de fraîcheur épistolaire le ressuscite. (Archivio Cameraphoto Epoche/Getty Images)

Jean-Luc Godard n’hésite pas à traverser la France pour retrouver la jeune fille, en vacances avec une amie dans un château du XVIIIe siècle, près d’Avignon. Dès les premiers regards cette fois, ils tombent amoureux. Dans une librairie, le cinéaste offre à Anne Nadja d’André Breton, et des quatuors de Mozart. Il apprécie sa singularité, son sérieux, sa maturité. Quant à elle, qui aspire à s’émanciper et à s’élever, elle trouve en cet étrange personnage un génie à la mesure de ses ambitions intellectuelles. (KEYSTONE-FRANCE/Gamma-Rapho via Getty Images)

Tendre et possessif, Jean-Luc Godard sait d’emblée où il va. "Tu es plus que mon amante, tu es ma femme", lui déclare-t-il à l’issue de leur première nuit d’amour. Pour Anne Wiazemsky, les choses sont plus difficiles. Corsetée par la morale bourgeoise de l’époque, pour laquelle un couple aussi moderne exhale un parfum de scandale, la jeune fille doit faire face à la réprobation familiale. "Vivre comme je l’entendais ? Cela se révéla tout de suite impossible. Ma mère n’acceptait pas Jean-Luc et me reprochait de le voir trop souvent", écrira-t-elle des années plus tard. Un concert de reproches auquel se joint François Mauriac, qui a pris la famille sous son aile depuis la mort du père d’Anne, et qui en a eu vent de la liaison de sa petite-fille par lettres anonymes. (Archivio Cameraphoto Epoche/Getty Images)

Conscient que sa réputation sulfureuse joue contre lui, Jean-Luc Godard va lisser son image, et faire preuve d’une audace inattendue. Vêtu d’un élégant costume gris et rasé de près, il vient très officiellement demander la main de celle qu’il aime à son illustre grand-père. Une initiative qui arrache alors ce mot d’esprit corrosif au prix Nobel de littérature 1952 : "Devenir le grand-père de Jean-Luc Godard, quelle consécration !" Le mariage a lieu dans le canton de Vaud, le 21 juillet 1967, sans famille, ni amis, ni cérémonie particulière, devant un maire déconcerté par une telle sobriété de la part d’une star. À telle enseigne qu’il officialise l’union par un "À la prochaine, monsieur Godard !" quelque peu déplacé. (Pierre Vauthey/Sygma/Sygma via Getty Images)

Cette année-là, un Godard passionné par le Petit Livre rouge de Mao tourne La Chinoise, dans lequel Anne prête sa beauté étrange au personnage principal du film, Véronique Supervielle, une théoricienne marxiste-léniniste. Ce film, en partie tourné dans l’appartement du couple et salué par la critique, marque le début de la collaboration entre les deux amants. D’autres longs-métrages ne tarderont pas à venir enrichir leur filmographie commune (Week-end, Le Gai Savoir, Vent d’est…). (Hulton-Deutsch Collection/CORBIS/Corbis via Getty Images)

Quand Mai 68 montre le bout de ses pavés, les Godard sont aux premières loges pour vivre cette révolution dont les grèves paralysent la France et les slogans anarchistes font trembler la société gaulliste. Anne fréquente encore la faculté de Nanterre - où elle sympathise avec un certain Daniel Cohn-Bendit - et le couple vit désormais rue Saint-Jacques, en plein Quartier latin, où l’étudiante en philosophie se sent plus à son aise que dans le 8e arrondissement, où le couple a longtemps vécu. Pourtant, si cette dernière ne manque pas une occasion de joindre sa voix aux cortèges des manifestants, il lui arrive aussi de s’inquiéter pour son mari, dont la radicalisation ne cesse de croître au fil des jours. (Ullstein bild via Getty Images)

Peu à peu, les deux amants s’éloignent. "À Paris, [Jean-Luc] fréquentait des étudiants de tendance maoïste, que je n’avais aucune envie de connaître, écrira Anne dans Une année studieuse. Il n’allait plus aussi souvent au cinéma, considérant que, dans ce domaine, mon éducation était faite. Se réveiller ensemble et se retrouver le soir était à mes yeux l’essentiel [...] Le voir enfin apaisé me rendait heureuse et tout en même temps me troublait : était-ce compatible avec le grand amour qui nous avait jetés dans les bras l’un de l’autre ?" (AFP via Getty Images)

À cette question sans réponse vient s’ajouter la jalousie proverbiale dont son mari fait régulièrement preuve. Une possessivité dont même Paul McCartney fera les frais. Convié un jour par une productrice dans les légendaires studios Abbey Road pour discuter d’un potentiel projet de film avec les Beatles, Godard se dispute avec John Lennon, et fulmine lorsque Paul McCartney, pour couper court à leur échange houleux, propose à Anne de prendre le thé avec lui, sous la table. "Que faisais-tu sous cette table ?", lui reprochera-t-il, furieux, en sortant. (Keystone Features/Getty Images)

Pas de quoi fragiliser durablement le couple, encore capable de surmonter ses difficultés intimes et ses désaccords politiques, pourtant de plus en plus fréquents. Anne Wiazemsky et Jean-Luc Godard font d’ailleurs front commun tout au long de ce printemps agité, et partagent tous les combats, de l’appel à la réintégration d’Henri Langlois à la tête de la Cinémathèque aux manifestations de rue, durant lesquelles les deux amants subissent main dans la main les charges des CRS. (DR)

Les jours passant, Anne Wiazemsky supporte néanmoins de plus en plus mal le révolutionnaire enragé qu’est devenu son mari. "Je lui murmurais que j'étais amoureuse d'un cinéaste, pas d'un militant doublé d'un commissaire politique", écrira-t-elle plus tard. D’autant plus que Godard, toujours plus exalté, renie désormais ses films, appelant à la création d'un cinéma collectif, ouvriériste, et politique. Une vision que ne partage pas sa jeune compagne, qui préfère tourner avec les grands noms du cinéma "traditionnels", de Pasolini à Bertolucci. (DR)

En juin 1969, l’auteur du Mépris, parti deux mois à Prague tourner Pravda, rejoint sa compagne sur le tournage de Porcherie, que réalise Pasolini. Les retrouvailles se passent mal. Une nuit, le réalisateur, maladivement jaloux et blessé, fait une tentative de suicide. S’il en réchappe, son couple, lui, n’y survivra pas. Moins d’un an après ce geste désespéré, Anne Wiazemsky et le cinéaste se séparent. La fin d’une relation mythique du cinéma français. La fin d’une époque, aussi... (Archivio Cameraphoto Epoche/Getty Images)