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Sainte-Soline, réforme des retraites : « On assiste à une brutalisation du maintien de l’ordre »

GAIZKA IROZ / AFP

Professeur à Strasbourg et spécialiste de la police, Jérémie Gauthier analyse pour « Le HuffPost » le maintien de l’ordre à la française. Et ce n’est pas reluisant.

POLITIQUE - La France, sa tour Eiffel, sa gastronomie… et ses grenades de désencerclement. Après plusieurs semaines de manifestations massives – mais paisibles – contre la réforme des retraites, le sujet du maintien de l’ordre et des violences policières s’invitent à nouveau dans l’actualité.

Les vidéos de bavure ou de dérives se multiplient à mesure que les instances internationales s’inquiètent de la situation. Jeudi encore, c’est la Maison Blanche qui a cru bon de rappeler qu’elle était attachée, en France aussi, au droit de manifester pacifiquement. Des remontrances justifiées ? Comment font nos voisins pour répondre à la violence, en particulier l’Allemagne, qui a vu la naissance de la stratégie du black bloc ?

Autant de questions que Le HuffPost a posées à Jérémie Gauthier, enseignant-chercheur à l’Université de Strasbourg associé au centre Marc-Bloch de Berlin. Ce sociologue spécialiste de la police nous dépeint « une brutalisation des conflits » et du maintien de l’ordre en France quand nos voisins optent depuis longtemps pour une stratégie de « désescalade. » Entretien.

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Le HuffPost : Plusieurs observateurs internationaux se sont inquiétés de dérives dans le maintien de l’ordre en France, notamment l’ONU ou le Conseil de l’Europe. Est-ce justifié ?

Jérémie Gauthier : Le maintien de l’ordre et les conflits sociaux en France sont scrutés de près au-delà des frontières et ce, depuis bien avant le mouvement actuel contre la réforme des retraites ou la débauche répressive déployée à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) le 25 mars dernier. La France a d’ailleurs été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme dans des cas de violences policières. Cela veut dire qu’au regard des standards de ces institutions, la réponse en termes de maintien de l’ordre en France apparaît totalement disproportionnée.

À ce titre, la France est-elle une exception en Europe ? La France est souvent pointée du doigt comme étant l’un des seuls pays du continent à utiliser les lanceurs de balles de défense (LBD) dans le maintien de l’ordre…

Les LBD sont utilisés par la police en France, en Pologne, en Turquie, en Espagne et en Grèce. En revanche, ce n’est pas le cas en Europe du nord, en Allemagne et en Grande-Bretagne. Le non-recours à ce type d’armes dans ces pays répond à un renouveau de la doctrine policière impulsé à l’échelle européenne notamment dans le cadre du projet GODIAC qui réunissait douze pays européens. Il préconisait par exemple la mise en place de stratégies de désescalade dans le maintien de l’ordre. Or, la France n’a pas pris part à cette réflexion collective.

On assiste à une brutalisation du maintien de l’ordre, et Sainte-Soline s’inscrit clairement dans cette tendance.

Les stratégies pour encadrer les manifestations sont donc différentes en France et en Allemagne ?

Oui. En Allemagne, on observe un effort de respect des principes de nécessité et de proportionnalité dans les interventions policières. La stratégie allemande en matière de maintien de l’ordre est fortement marquée par le principe de désescalade imposé par le Tribunal constitutionnel dès 1985 : la police a la responsabilité d’engager des stratégies de réduction de la violence et ce, quelle que soit l’intensité de l’opposition. Cela repose sur un travail de négociation avec les protestataires avant et pendant les manifestations et sur l’ambition de réduire autant que possible l’intensité de la force engagée par la police.

C’est grâce à cette doctrine que le pays connaît moins de scènes de violences en marge des manifestations ?

C’est lié à la doctrine, mais pas seulement. La formation des policiers allemands est plus longue et les polices allemandes valorisent davantage la prévention des désordres ainsi qu’une éthique de service public.

Il faut dire aussi que la conflictualité s’organise de manière différente en Allemagne. Les conflits sociaux par exemple sont canalisés par un syndicalisme puissant organisé par branches. Quand le gouvernement fédéral cherche à mener des réformes, il négocie en premier lieu avec les syndicats. À l’inverse, en France, on observe une marginalisation des corps intermédiaires, ce qui explique que la conflictualité ait plus tendance à s’exprimer dans la rue.

En France, le gouvernement dépeint une « radicalisation » de certains protestataires. Est-ce aussi ce que vous observez ?

On ne peut pas parler des modalités d’action des manifestants sans parler aussi des stratégies policières qui leur sont opposées et de la manière dont les réformes sont conduites par le pouvoir politique. Tout cela est lié : la protestation est modelée par la manière dont le pays est gouverné et la réponse policière découle des injonctions du pouvoir politique. En France, ce que l’on observe, c’est une brutalisation des conflits.

C’est-à-dire ?

Depuis une vingtaine d’années, les formes de protestations se sont transformées. Dans un contexte de creusement des inégalités sociales et économiques, certains groupes souhaitent sortir des cadres classiques de la protestation et revendiquent une action plus directe, plus vigoureuse. Les gouvernements ont fait le choix de privilégier la réponse policière. Les affrontements de Sainte-Soline confirment cette escalade, avec plus de 5 000 grenades envoyées par les forces de police en quelques heures sur quelques milliers de manifestants. Cela a donné lieu à une quarantaine de blessés graves, dont un se trouve encore dans le coma. On assiste à une brutalisation du maintien de l’ordre, et cet événement s’inscrit clairement dans cette tendance. À ma connaissance, dans la période récente, on n’a pas vu ça dans d’autres pays européens.

La posture de déni prédomine sur les violences policières.

Pour reprendre l’exemple de l’Allemagne, le pays a pourtant connu, lui aussi, des épisodes de protestations violentes. On fait d’ailleurs souvent remonter l’origine du black bloc à l’Allemagne des années 1980. Comme les autorités ont-elles agi ?

Certains conflits étaient effectivement très durs dans les années 1960-70. C’est au sein du mouvement autonome allemand, très fort dans les années 1980, qu’est née la stratégie du black bloc. À cette époque, la stratégie policière allemande a reposé sur une approche répressive par le biais des services de renseignements qui ont fait un travail de surveillance des milieux contestataires en dehors des moments de confrontations, via des enquêtes, des perquisitions et interpellations dans les milieux alternatifs.

À Berlin ouest, les 1er mai donnaient lieu à des affrontements entre des militants d’extrême gauche et la police. La police berlinoise a fait le choix d’un travail de communication des policiers auprès des habitants et des commerçants afin de délégitimer cette forme de protestation. Enfin, la ville de Berlin a également décidé de passer par la folklorisation de cette date favorisant son aspect festif au détriment de sa dimension politique.

En France, les réactions et l’action des pouvoirs publics vous semblent-elles à la hauteur ?

Clairement non. Si l’on considère que l’horizon, dans un contexte démocratique, est une réduction de la violence, l’objectif n’est pas du tout atteint. C’est bien le contraire que l’on observe.

Les discours politiques sous-entendent souvent une symétrie entre les forces de police et les protestataires, comme si les deux étaient finalement deux bandes qui s’affrontent d’égal à égal. Ce n’est pas le cas. C’est aux autorités que revient la responsabilité de mettre en place des stratégies de désescalade lorsque surviennent des heurts violents. Pour cela, la police est une institution avec des gens formés, rémunérés et équipés pour faire face aux désordres. À ce titre, il n’y a pas de symétrie entre la police et les protestataires quels que soient leurs modes d’action, pacifiques ou non.

La brutalisation est autant policière que politique.

C’est une forme de déni des autorités sur les violences policières ?

La posture de déni prédomine effectivement en France, qu’il s’agisse des violences policières, des discriminations liées aux contrôles d’identité ou encore de la question du racisme policier. C’est très clair dans les déclarations de Gérald Darmanin, notamment. Il y a une extrême difficulté à ouvrir le débat et à reconnaître seulement l’existence d’un problème. Mais le déni n’est pas présent à tous les étages, il semblerait qu’on le trouve davantage parmi les élites politiques et policières : plus bas dans la hiérarchie, certaines voix s’élèvent pour critiquer la tournure des choses.

Que faudrait-il faire changer ou apaiser le maintien de l’ordre Français ?

Il n’y a pas de recette magique. Il faut déjà sortir du déni et savoir que la désescalade, qui incombe au pouvoir politique, prendra sûrement du temps. Enfin, c’est surtout la gestion politique autoritaire des revendications concernant la justice sociale, l’égalité des droits ou encore l’environnement, qui appelle une remise en cause. Or, la seule réponse politique apportée aux mouvements sociaux, c’est une réponse policière, qui ne résout jamais rien. Autrement dit, la brutalisation est autant policière que politique : le politique tolère les dysfonctionnements de la police tout en faisant reposer sur elle la résolution de crises qu’il a lui-même déclenchées.

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