Publicité
La bourse est fermée
  • CAC 40

    8 205,81
    +1,00 (+0,01 %)
     
  • Euro Stoxx 50

    5 083,42
    +1,68 (+0,03 %)
     
  • Dow Jones

    39 807,37
    +47,29 (+0,12 %)
     
  • EUR/USD

    1,0782
    -0,0012 (-0,11 %)
     
  • Gold future

    2 254,80
    +16,40 (+0,73 %)
     
  • Bitcoin EUR

    65 596,52
    +1 191,23 (+1,85 %)
     
  • CMC Crypto 200

    885,54
    0,00 (0,00 %)
     
  • Pétrole WTI

    83,11
    -0,06 (-0,07 %)
     
  • DAX

    18 492,49
    +15,40 (+0,08 %)
     
  • FTSE 100

    7 952,62
    +20,64 (+0,26 %)
     
  • Nasdaq

    16 379,46
    -20,06 (-0,12 %)
     
  • S&P 500

    5 254,35
    +5,86 (+0,11 %)
     
  • Nikkei 225

    40 402,12
    +234,05 (+0,58 %)
     
  • HANG SENG

    16 541,42
    +148,58 (+0,91 %)
     
  • GBP/USD

    1,2622
    -0,0000 (-0,00 %)
     

Manga: pourquoi la France se passionne pour les éditions collectors

Détail de la couverture de l'édition collector du tome 31 de
Détail de la couverture de l'édition collector du tome 31 de

En plein nouvel âge d’or, le manga voit ses ventes exploser en France. Cette frénésie s’accompagne depuis six mois d'un boom des éditions collectors, des coffrets publiés à quelques milliers d’exemplaires et réunissant plusieurs objets dérivés d’une œuvre. Les collectors de best-sellers (One Piece, L’Attaque des Titans, My Hero Academia…) comptent parmi les plus recherchés du marché.

Cibles de "scalpeurs", les revendeurs en ligne, ces coffrets sont le plus souvent indisponibles à la précommande dans certaines librairies de référence, comme Mollat à Bordeaux, ou Le Divan à Paris. Certaines enseignes limitent ainsi l'achat d'un collector par personne. En acquérir un exemplaire sera un véritable défi pour les fans. "D’après ce qu’on nous a dit sur le terrain, les éditions collector se vendent en une heure dans les librairies", confirme Benoît Huot, responsable éditorial de Glénat Manga.

"Les gens qui apprennent l'existence des collectors le jour de la sortie ont en général très peu de chance d’en obtenir un", ajoute le patron de Kurokawa Grégoire Hellot, dont les éditions collectors du tome 23 de One Punch Man et du tome 6 de Spy x Family ont été "immédiatement sold-out" il y a quelques semaines. "L’année prochaine, on fera d’autres collectors et je sais qu’il faudra doubler voire tripler les quantités."

PUBLICITÉ

En une décennie, le tirage des collectors a connu une forte croissance, passant de 2.000 à 20.000 exemplaires. De quoi porter un coup à la dimension exclusive de ces éditions, commente Pierre Valls, directeur éditorial de Kazé (The Promised Neverland, Chainsaw Man), pour qui un collector doit répondre avant tout à "trois grands principes": "l’édition doit être limitée, à la fois dans le temps et en termes de tirage, et particulière."

"Booster l’ego d’une maison d’édition"

Les éditions collectors sont arrivées en France au milieu des années 2000, importées du Japon par des maisons d’édition à la recherche d'une méthode efficace pour "booster" leurs ventes. "Une édition collector, c’est très bon pour l’ego d’une maison d’édition", acquiesce Grégoire Hellot. "Ça booste la première semaine de vente. Avant 2021, One Punch Man se vendait entre 8.000 et 15.000 lors de sa première semaine. Avec l’édition collector, on fait une première semaine entre 15.000 et 20.000 exemplaires."

Ces éditions répondent aussi à une demande des libraires. "Même si le manga cartonne, il reste un produit culturel moins cher qu’un album de BD", rappelle Grégoire Hellot. "Quand vous vendez un manga, la marge n’est pas forcément importante. C’est important pour les libraires et les distributeurs d’avoir un produit plus cher." En 2022, Ki-oon proposera une édition collector du tome 13 de Jujutsu Kaisen pour 17,55 euros, soit plus du double du prix d’un manga standard. Un prix élevé justifié par la présence dans le coffret d'un roman, d'un ex-libris et d'un marque-page magnétique.

Si les éditeurs ne recrutent pas de nouveaux lecteurs avec ces opérations destinées avant tout aux fans, celles-ci se révèlent toujours très rentables malgré d'importants frais de production. Les éditions collectors, avec leur lot de goodies conçus en collaboration avec le Japon, renseignent surtout sur l’évolution des goûts du lectorat français de mangas, qui espère désormais découvrir ses séries préférées dans les mêmes conditions qu'au Japon.

"Une édition collector, c’est plus pour le lecteur que pour l'éditeur", résume Pierre Valls. "Il est fan, il l’achète et si un jour ça vaut beaucoup d’argent, tant mieux pour lui! Une édition collector, ce n’est pas l’éditeur qui spécule sur la valeur future d’un produit. Le collector marque un moment émotionnel pour le fan qui l’achète à la sortie. Ça reste dans le temps. Quand il va revoir plus tard son beau coffret collector, ça va lui rappeler des bons souvenirs."

Vision éditoriale mûrement réfléchie

Chaque collector est le fruit d’une vision éditoriale mûrement réfléchie en amont. Il faut souvent compter six à sept mois pour en concevoir un. Leur rythme de parution évolue d’une maison d’édition à une autre. Certaines, comme Kazé ou Kurokawa, en proposent deux à trois par an. D’autres, comme Pika, peuvent en produire jusqu’à neuf par an. "La question essentielle, c’est celle de la pertinence", analyse Pierre Valls. "On pourrait faire juste du marketing, mais si on trouve que le collector n’a pas de sens, on ne le fait pas."

"On se creuse la tête pour que nos collectors soient tous très différents les uns des autres", renchérit Mehdi Benrabah, directeur éditorial de Pika, la maison française de L’Attaque des Titans et L'Atelier des sorciers. "Ces séries sont de tels succès qu’on a envie de marquer l’événement. Je veux proposer à nos lecteurs des goodies, mais aussi des artbooks sans avoir à attendre les éditions japonaises. Il y a tellement de produits au Japon. On s’efforce de les reproduire ou de les adapter pour que ça corresponde aux attentes de notre public."

Ce n’est pas toujours possible de produire en France les mêmes éditions qu’au Japon, en raison notamment de la TVA, déplore cependant Grégoire Hellot. "Au Japon, elle est de 8% sur tous les produits. En France, les livres, c’est 5% de TVA, mais si vous rajoutez une figurine ou un DVD, c’est 20%. C’est très pénible. Pour tout ce qui est goodies, on va essayer au maximum de rester sur des choses plates ou imprimées."

Il peut aussi y avoir des problèmes de logistique, détaille-t-il encore: "N’importe quel imprimeur français peut vous faire un carnet, mais si vous commencez à vouloir faire une figurine articulée de héros de manga, il faut prendre rendez-vous un an à l’avance dans une usine en Chine, il faut faire valider un prototype auprès de l’éditeur japonais. Ça peut être des négociations très compliquées et une avance financière très importante à fournir."

Une meilleure expérience de lecture

Jusqu’à ce que la mode des collectors soit relancée en France, Kurokawa adoptait une autre stratégie: "Mon réflexe n’était pas de faire des éditions collectors, mais de m’inspirer de ce qui était offert avec les mangas au Japon pour créer des primes à l’achat. Pour deux mangas achetés, un goodies est offert. En janvier prochain, on offrira un jeu de cartes Moi quand je me réincarne en slime ou Vinland Saga pour deux tomes vendus."

L’histoire des collectors en France et l’évolution de leur contenu témoignent de la lente démocratisation du manga. En septembre 2006, Kurokawa proposait avec le tome 8 de Full Metal Alchemist une nouvelle inédite de 32 pages. En juin 2009, Ki-oon vendait le tome 9 d'Übel Blatt avec la mini-silhouette d'un personnage. En août 2010, Pika passait à la vitesse supérieure avec un coffret collector du Dictionnaire des Yokaï, bible de Mizuki Shigeru sur ces créatures mythiques du folklore japonais. Une belle reconnaissance pour un auteur alors méconnu en France malgré deux prix à Angoulême.

En juin 2011, Pika récidivait et marquait les esprits durablement avec le collector du tome 19 de Fairy Tail. Une édition désormais mythique qui permettait aux fans d'acquérir le magazine Sorcerer, que les héros du manga lisent. "Quelle meilleure expérience pour un lecteur que d’avoir entre les mains ce qu’il a lu dans son manga?", s'enthousiasme Mehdi Benrabah.

Cette manière de faire du manga un objet de collection peut paraître en décalage avec la manière dont les Japonais consomment le manga, le plus souvent dans des revues de prépublication dont ils se débarrassent une fois leur lecture achevée. "C’est justement la raison pour laquelle ces collectors fonctionnent", répond Pierre Valls. "Ces éditions correspondent à la culture de l’édition française. On a toujours eu des tirages de tête, des tirages signés… Le marché ne fonctionne pas de la même façon au Japon, où le manga est un produit presque jetable."

Des éditions exclusives à la France

Les collectors sont devenus plus audacieux au fil des années. Chez Ki-oon, ils bénéficient d’une "variant cover" réalisée par un grand auteur de comics. Ryan Ottley (Invincible) s'est chargé de celle du tome 31 de My Hero Academia prévu pour janvier. Le coffret du tome 34 de L’Attaque des Titans contenait Beginning (un cahier de storyboard des deux premiers chapitres), deux cartes postales et un ex-libris.

Les best-sellers ne sont pas les seuls à être concernés. L’Atelier des Sorciers (Pika) bénéficie à chaque nouveauté d'un collector réunissant ex-libris, carnets d’invocation et calendriers avec des dorures. Des éditions exclusives à la France, qui font des envieux au Japon. "Les éditeurs japonais connaissent la qualité de nos éditions", se réjouit Mehdi Benrabah. "Ils nous font confiance et ils acceptent beaucoup de choses qu’on a réussi à faire approuver et qui n’existent pas au Japon."

Tous les éditeurs ne se lancent pas dans le business du collector. Premier acteur du manga en France, Glénat a attendu avril dernier pour s’y essayer. "L’idée de départ, c’est vraiment d’accompagner les lecteurs jusqu’au tome 100 de One Piece", indique Benoît Huot. Les éditions collectors des tomes 98 et 99, avec leur couverture en similicuir exclusive à la France, ont provoqué des raz de marée en librairie au printemps et à la rentrée. Jusqu’à présent, la maison d’édition s’était contentée de proposer des jaquettes alternatives du manga d’Eiichiro Oda.

Glénat n’a pas souhaité faire rimer collector avec contenu exclusif. "Le contenu de l’édition collector est rigoureusement identique à l’édition standard", insiste Benoît Huot. "Il y a les mêmes chapitres, il n’y a pas d’interview exclusive d’Oda. On veut proposer une édition sans forcer à l’achat." La sortie du tome 100 ce mercredi 8 décembre devrait néanmoins provoquer des mouvements de foule dans les enseignes de France.

Lutte contre le piratage

Ces éditions collectors jouent enfin un autre rôle pour les éditeurs, ils participent à la lutte contre le piratage, comme l'explique Grégoire Hellot: "Comme les lecteurs de mangas lisent d’abord en version dématérialisée puis achètent les tomes reliés, il y a une forme de récompense avec ces éditions collectors. Ce sont aussi des éditions qu’on ne peut pas télécharger. Vous ne pourrez jamais télécharger une boîte à musique ou des cartes postales."

Si les éditeurs, et en particulier Pika, réservent "plein de surprises" en la matière pour 2022, Kazé veut être raisonnable. "On en aura un peu moins", prévient Pierre Valls. "On veut réfléchir plus, attendre le bon moment et le bon matériel pour ces éditions, pour offrir des choses inédites. C’est important de prendre le temps. Après, chaque éditeur fait ce qu’il veut et ce sera aux lecteurs de juger." Un appel rare à la décroissance, en pleine expansion du manga.

Article original publié sur BFMTV.com