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Comment développer l'usage quotidien du vélo dans les campagnes ?

En France, lorsqu’une personnalité politique propose de circuler à vélo, il y a toujours quelqu’un pour répondre : "discours de citadin ; le vélo à la campagne ça n’est pas possible." Or, la voiture représente encore 60% des émissions de CO2 dans les transports dans l'Union européenne. Que manque-t-il au vélo pour se développer dans toutes les zones rurales et périurbaines, grands bastions de la voiture individuelle ?

La place laissée aux vélos dans les zones rurales n’est pas uniforme à travers l'Europe, commence par préciser Aleksander Buczyński de la Fédération européenne des cyclistes (ECF).

Dans les pays d’Europe de l’Est plus pauvres, explique-t-il, le vélo a perduré plus longtemps car les habitants n’avaient pas tous les moyens de s’acheter des voitures. En Europe de l’Ouest, la voiture a pris le dessus plus tôt. Mais quelques pays de l’Ouest font exception : les Pays-Bas, le Danemark mais aussi l’Allemagne ou la Flandre en Belgique. Cette différence n’est pas seulement culturelle, elle est issue de politiques volontaristes orientées très tôt vers le vélo.

Distances et sécurité, les premiers freins ressentis ou réels

Le frein principal à l’usage quotidien du vélo dans les zones rurales et périurbaines est la distance. S’il paraît réaliste de pédaler pour parcourir 5 km ou moins dans les villes, les usagers hésitent plus à le faire pour des distances de 15 ou 20 km.

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Le problème du relief s’ajoute, dans certaines régions, aux distances. La météo est aussi un frein, que l’on retrouve dans les centres urbains, car en plus de rendre le parcours moins agréable, le mauvais temps rend nécessaire le fait de s’équiper et de pouvoir se changer en arrivant au travail. Cette contrainte nécessite des aménagements comme des casiers ou des douches, que les employeurs ne sont pas toujours prêts à implémenter.

Le trajet peut aussi être plus dangereux sous la pluie ou la neige, a fortiori sur une route partagée où les vélos cohabitent avec des véhicules motorisés roulant à 80 km/h ou plus.

"Personne n’a envie de circuler entre les camions et les tracteurs" et les voitures roulant à plus de 80 km/h, à l’heure où les villes abaissent les vitesses à 30 km/h, explicite ainsi Wim Bot de la Fietsersbond, association hollandaise de cyclistes.

Aleksander Buczyński de l'ECF rappelle ainsi que 42% des accidents mortels à vélo en Europe ont lieu dans les zones rurales et que les accidents non mortels y sont plus graves. Des chiffres de l’UE, montrent qu’en France et en Espagne, la mortalité des cyclistes est même plus importante dans les zones rurales que les centres urbains.

La sécurité dans ces zones, lorsque les infrastructures cyclables ne sont pas ou peu développées, repose principalement sur de la protection individuelle. Les cyclistes sont obligés de s’équiper de casque, vêtements et accessoires fluorescents et réfléchissants, écarteur de distance, rétroviseurs...

L’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) note par ailleurs qu'en France les longues distances en zone rurale sont encore moins compatibles avec les emplois du temps des mères de familles qui ont plus à charge les obligations administratives dans des services publics de plus en plus rares et éloignés, les achats et les enfants qu’il faut accompagner à l’école et aux activités extra-scolaires.

Des infrastructures peu développées et mal adaptées

Les cyclistes en zones rurales doivent aussi composer avec des infrastructures moins nombreuses et parfois moins bien entretenues ou moins adaptées qu’en ville : les pistes cyclables peuvent être encombrées de cailloux ou autres obstacles. En France, par exemple, certains bas-côtés sont moins fauchés par les collectivités qu’auparavant afin de favoriser la biodiversité ; les herbes hautes peuvent alors empiéter sur les pistes cyclables.

L’éclairage est aussi moins présent qu’en agglomération, ce qui peut poser problème en termes de sécurité. Enfin, les carrefours ne sont pas toujours sécurisés pour le cycle, même sur le parcours d’une piste cyclable.

Le vélo électrique est la solution qui revient souvent chez nos interlocuteurs. En effet, ce dernier permet de parcourir de plus grandes distances, "d’aplatir" les reliefs, et rend la pratique du vélo accessible à un public plus large comme les personnes âgées ou certaines personnes handicapées.

L’offre des vélos électriques s’élargit, avec par exemple des modèles de vélos cargo et les ventes suivent. Avec la crise du Covid-19, la pratique du vélo a fortement augmenté et les ventes de vélos électriques ont bondi de +40% en Europe en 2020 par rapport à 2019, par rapport à une augmentation moyenne de +25% ces dernières années.

D'une manière générale, le vélo a profité de la pandémie et le Portugal est passé en tête de la fabrication de vélos dans l'UE. C'est aussi à Lisbonne que s'est tenue, cette année début septembre, la conférence européenne du vélo, Velo-City, organisée par l'ECF. Et pourtant, les cyclistes du quotidien restent rares dans le pays.

L’intermodalité doit être pensée jusqu’au bout pour être efficace

L’intermodalité, c’est-à-dire la possibilité de passer d’un mode de transport à un autre, du vélo au train ou au bus par exemple, permet aussi de couvrir une partie de la question des distances. Les transports publics sont moins nombreux en zones rurales. Il est donc important que ceux-ci puissent se combiner avec des modes actifs.

La question des parkings à vélo progresse ; les Pays-Bas sont exemplaires comme en témoigne Wim Bot qui rapporte que le pays compte un demi-million de places de parking vélo et le plus grand parking à vélo du monde à Utrecht, parking couvert de 12 500 places.

En France, la loi d’orientation des mobilités prévoit la création de 90 000 places de stationnement vélos sécurisés aux abords des gares. Un levier non négligeable lorsqu’on sait que 50% des voyageurs quotidiens en train vivent à moins de 5km de leur gare de départ selon la SNCF.

Sidsel Birk Hjuler, de l’organisation danoise Supercykelstier, qui travaille sur la connexion en autoroutes cyclable entre Copenhague et les zones rurales, ajoute que pour rendre ces mesures inclusives il faut aussi penser à des aménagements tels que des rampes permettant par exemple d’atteindre un casier à vélo avec un vélo cargo sans avoir à le porter sur ses épaules dans des escaliers.

Aleksander Buczyński tient à préciser que ces modes de transports sont bien complémentaires et non en compétition. "Vous utilisez le vélo et le train pour des trajets différents. Ces modes de transports donnent plus d’options aux habitants des zones rurales pour effectuer des trajets sans voiture."

L’importance des voiries dédiées et aménagées

Les casiers à vélo en gare ou l’embarquement du vélo à bord du train ne sont pas suffisants si on ne peut s’y rendre correctement.

Sidsel Birk Hjuler témoigne du fait que si l’on propose des voies cyclables dédiées, sécurisées, séparées des véhicules moteurs et rapides, alors l’usage augmente. Son organisation rapporte 23% d'augmentation du trafic vélo depuis la construction des premiers 176 km d’autoroutes cyclables sur les 850 km prévus. Elle ajoute que, selon leurs données, la distance moyenne de ces trajets domicile-travail font 11 km. Certains usagers parcourent des distances pouvant aller jusqu’à 20 ou 30 km.

Parmi les témoignages que son association a recueilli, une mère de famille décrit son quotidien en vélo cargo : "Je suis juste une maman ordinaire. Je ne suis pas une super athlète qui participe à des triathlons, qui a du matériel incroyable qui coûte une fortune. Ce que je veux dire c’est que n’importe qui peut le faire."

L’ECF milite pour la prise en compte des voies cyclables dans les projets du TEN-T, le réseau de transport Trans-Européen mené par l’Union européenne. Cette prise en compte permet ainsi de mieux intégrer les trans-européennes cyclables (EuroVelo) aux autres voies de circulation comme les autoroutes et les voies ferrées pour que ces dernières n’interrompent pas ou ne détournent les voies cyclables. L’association a recensé les bons et les mauvais exemples en Europe.

On voit que le cyclable n’est pas la priorité quand les travaux bloquent les pistes cyclables plutôt que les routes, quand on met les pistes cyclables sur les trottoirs plutôt que sur les routes.

Sidesl Birk Hjuler
Chef de bureau de Supercykelstier au Danemark

Penser aux vélos dans les aménagements des voies de circulation du TEN-T permettrait surtout de construire les infrastructures cyclables en même temps, permettant des aménagements moins coûteux car pensés en amont et plus cohérents dans la continuité des parcours.

Aleksander Buczyński ajoute que cela est parfois d’autant plus simple à mettre en œuvre que les voies cyclables peuvent emprunter des voies de service existantes. Les chemins longeant les voies ferrées, par exemple, ou d'autres voies qui permettent notamment aux tracteurs d’accéder aux champs peuvent être rendues perméables aux modes actifs et tracteurs mais bloquées aux voitures.

Camille Thomé, directrice de l'association française Vélo et territoires, plaide pour le même principe : "On ne peut plus imaginer que le Lyon-Turin (voie ferrée prévue au Ten-T – NDLR) puisse créer des discontinuités dans les mobilités actives. Au contraire, il faut en profiter pour installer des infrastructures cyclables."
Son organisation souhaiterait que le maillage cyclable puisse être aussi fin que le maillage routier, qui va, en France, du chemin vicinal au maillage régional et international. Les milieux ruraux sont "l’épine dorsale" qui permet, explique-t-elle, de tisser ce maillage : "quand vous regardez la carte des voies cyclables aux Pays-Bas vous ne voyez plus rien tant le maillage est dense". C’est un "puzzle" de pièces devant s’imbriquer les unes aux autres à chaque échelle, estime aussi Sidsel Birk Hjuler.


Un exemple de "discontinuité cyclable majeure" : la confluence à Lyon devant Euronews

Camille Thomé cite comme exemple de discontinuité la zone devant laquelle est placée Euronews à Lyon à la confluence du Rhône et de la Saône. Il s’agit d’un nœud où une autoroute récemment déclassée en voie rapide limitée à 70km/h, passe sur un pont routier puis fluvial.

Une voie ferrée enjambe aussi la Saône au même endroit et Rhône et Saône sont deux voies de circulation fluviale. Là, peu de place est laissée aux modes actifs. Or ce nœud se trouve sur le passage de l’EuroVelo 17. Sur cette portion, les vélos doivent circuler sur une voie cyclable. Celle-ci est installée sur le trottoir le pont routier très emprunté par voitures et camions.

Ce deux-fois-trois voies reliant Paris à Marseille est désormais réservé à la circulation urbaine locale. Mais de nombreux conducteurs de passage continuent de choisir ce trajet au détriment du contournement autoroutier.


La continuité des voies cyclables peut passer aussi par le fait de proposer des raccourcis réservés aux vélos, en créant des chemins ou des ponts, ou encore en bloquant ces petites routes utilisées comme voies de délestage par les voitures en cas de bouchons sur les artères menant vers les villes.

Les infrastructures dédiées et séparées sont d’autant plus utilisées qu’elles comportent des aménagements aidant à la circulation fluide, rapide et sécurisée des vélos : largeur suffisante pour rouler à plusieurs côte à côte et se croiser, marquage au sol et panneaux de direction, passage prioritaire et sécurisé aux carrefours, vague verte à l’arrivée dans les villes…

En revanche, la construction de ces voiries butte encore sur des problématique de financement. Par définition, les zones rurales sont moins denses que les villes et les usagers – et donc les contribuables pouvant les financer – sont moins nombreux. L'impact sur la part des voies cyclables est implacable si aucune politique cyclable n'est volontairement menée. En France par exemple, si la part de voies cyclables par rapport à la voirie automobile s'élève à 28% en moyenne dans les zones de 700 000 habitants ou plus, elle chute à 1% pour les zones de moins de 50 000 habitants selon l'INSEE.

On ne commence pas là où il y a le moins de potentiel : quand la pratique est mature dans les villes, alors on peut aller voire dans les zones rurales et périurbaines.

Luc Goffinet
Chargé de Politique wallonne & fédérale au GRACQ

Dans chaque pays d’Europe, les voies de circulation ne dépendent pas toutes des mêmes administrations : au Danemark ce sont les communes, en France cela peut être, selon le niveau routier, les communes, les communautés de communes, les régions etc.

Pour les voies dépendant des communes, ces dernières doivent pouvoir se coordonner entre elles pour pouvoir se connecter. Il faut se mettre d’accord ; il faut acquérir des terres ; il faut de l’expertise et "des ressources humaines en ingénierie", ajoute Camille Thomé. Les obstacles et besoins en coordination sont immenses.

Les spécialistes à qui nous avons parlé s’accordent à dire que le maillage doit s’intensifier dans les zones rurales et en connexion avec les centres urbains mais Luc Goffinet Chargé de Politique wallonne & fédérale au GRACQ, association de cyclistes quotidiens de la Belgique francophone, temporise tout de même en constatant que les autoroutes cyclables permettent d’aller chercher les pratiquants du vélo plus loin pour des trajets plus longs… dans les régions où la pratique est déjà installée. "On ne commence pas là où il y a le moins de potentiel : quand la pratique est mature dans les villes, alors on peut aller voire dans les zones rurales et périurbaines."

Le blocage est dans les esprits

Malgré tout, le tout premier frein, pour plusieurs de nos interlocuteurs, reste mental. Luc Goffinet témoigne depuis la Belgique : "Dans le monde francophone, le cycliste a encore une image de sportif ou d’écolo qui veut sauver la planète en vélo." Camille Thomé, de Vélo et territoires, en France, abonde : "On n’a pas appris à faire sans la voiture". Ces habitudes et a priori sont suffisants pour restreindre les usages des modes actifs.

Un des leviers les plus simples à mettre en œuvre dans les zones rurales pour soutenir la pratique est l’abaissement des vitesses, mais les résistances sont fortes. En France, en 2018, l’association "40 millions d’automobilistes" s’était faite la porte-voix d’un grand nombre de mécontents contre l’abaissement de 10km/h, de 90 à 80 sur les routes secondaires.

Le sujet est tout aussi "à vif" au Danemark, témoigne embarrassée Sidesl Birk Hjuler. Dans son pays, pourtant favorable au vélo, la police oppose un véto à l’abaissement des vitesses pour les véhicules motorisés.

En outre, les habitants conduisant dans les centres urbains par manque de voiries cyclables critiquent aussi les aménagements favorables aux vélos dans les villes car ces derniers leur compliquent la vie : moins de voies 'voitures' et moins de places de parking leur sont laissées.

A la campagne, le changement de mentalité est d’autant plus empêché que les routes sont moins encombrées qu’en ville et les places de parking devant les commerces et les habitations ne manquent pas. "Nous avons encore cette image du cyclisme comme étant un mode de transport urbain, surtout en Europe de l’Ouest, car c’est pratique dans les bouchons ; or les bouchons ne sont pas un problème dans les zones rurales" rappelle ainsi Aleksander Buczyński de l’ECF.

Pour Sidesl Birk Hjuler, les mentalités sont même le frein principal au développement du cyclable car cela influe les prises de décision des personnalités politiques en position d’agir. "On voit que les gens ne pensent pas au vélo. On le voit, pas seulement chez les citoyens mais partout, chez les politiques ou les urbanistes. On le voit quand le cyclable n’est pas la priorité des personnalités politiques, quand les travaux bloquent les pistes cyclables plutôt que les routes, quand on met les pistes cyclables sur les trottoirs plutôt que sur les routes." Des détails qui en disent long sur la vraie place du vélo dans les esprits à la ville comme à la campagne.