"C'est quoi, une fille?", la chronique de Bernard Pivot sur le nouveau livre de Camille Laurens
Le nouveau roman de Camille Laurens, Fille, fera date et référence dans l'histoire des femmes. C'est une œuvre à la fois subtile et puissante qui pointe, rassemble, illustre toutes les évolutions, toutes les révolutions de la vie féminine, en France, au cours des cinquante dernières années. L'histoire en est singulière, très originale, mais il est difficile d'imaginer qu'une lectrice ne se retrouve pas un peu ou beaucoup dans le bouleversement des idées, des comportements, des relations amoureuses et familiales, des mots employés aussi, qui sont ici rapportés avec une précision d'entomologiste saisie par la littérature.
"C'est une fille", s'exclame la sage-femme de la clinique Sainte-Agathe, à Rouen. Nous sommes en 1959, l'échographie n'a pas encore été inventée. Il faut attendre la délivrance de la mère pour connaître le sexe de l'enfant. Elle a déjà une fille, Claude. On espère un garçon, surtout le père, médecin généraliste. Le docteur Barraqué est déçu. Une fille, "c'est bien aussi". Résignation. On l'appelle Laurence. Lors d'un recensement, cinq ans plus tard, à la question : "Avez-vous des enfants?", il répondra : "Non, j'ai deux filles."
Le linge sale est une affaire de femmes
La première partie du roman, naissance et enfance de Laurence, est pour l'essentiel hilarante. Parce que Camille Laurens laisse aller sa verve moqueuse, ironique, dans le catalogue de toutes les idées reçues, de toutes les croyances, de tous les clichés sur le moment de la conception, les signes ...